jeudi

Une interview publiée sans les réponses

Le métier de journaliste n’est pas toujours simple. S’il nous arrive de réaliser des interviews avec des personnages fascinants, il n’est pas rare de devoir courir derrière les informations comme un chien derrière un bâton. Certains individus, persuadés qu’un salaire annuel à 6 chiffres ou une paire de galons leur confère une sorte de don d’omniscience, se permettent ainsi de décliner un entretien à la dernière minute, de vous faire poireauter de longues heures dans une salle d’attente entre les toilettes et la machine à café ou, pire, d’exiger d’interminables tours de relecture avant publication de l’article.

Si le droit à la « relecture » n’est pas formellement mentionné dans le code dedéontologie de l’Association des journalistes professionnels (AJP), celui-ci permet – à la libre appréciation du journaliste – de vérifier avec l’interviewé si les deux interlocuteurs se sont bien compris. Ce principe de validation s’applique en particulier pour vérifier des chiffres, des dates, des informations techniques, l’orthographe de certains noms, etc.

Le dicton est bien connu en matière de communication :

Entre ce que je pense,
ce que je veux dire,
ce que je crois dire,
ce que je dis,
ce que vous voulez entendre,
ce que vous entendez,
ce que vous croyez en comprendre,
ce que vous voulez comprendre,
et ce que vous comprenez,
il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre.


Exemple : si, pour son édition du 3 octobre, le journaliste du Soir David Coppi avait fait relire son interview de Laurette Onkelinx à la principale intéressée, cela lui aurait évité de confondre le Premier ministre britannique David Cameron avec le réalisateur James Cameron. La rédaction du Soir s’est d’ailleurs excusée et a clairement indiqué que la confusion venait du journaliste et non de la ministre socialiste.

Ça, c’est pour la théorie.

Dans la pratique, hélas, il arrive parfois que certains intervenants tirent sur la corde et considèrent ce privilège de la validation de la véracité des informations comme un droit d’ingérence dans le travail journalistique, voire carrément un droit de censure. C’est rare, mais il arrive qu’une personne interviewée, sans doute mal informée des principes de déontologie du journalisme, exige une forme de nuance dans ses propos, la rectification de certaines déclarations qu’elle a pourtant tenues, voire la suppression pure et simple de certains passages. Sans parler de ceux qui pensent savoir écrire mieux que tout le monde et qui voudraient carrément revoir la syntaxe. Journalistes et interviewés s’engagent alors dans un véritable bras de fer qui n’est jamais agréable, pour aucune des deux parties. Ce bras de fer aboutit parfois à des situations extrêmes : la publication de l’article est retardée, voire bloquée par un service presse qui place un « embargo » sur les informations dévoilées.

Petits conseils pour les journalistes : toujours s’armer d’un dictaphone. Conseil pour les interviewés : toujours bien préparer les interviews et expliquer poliment pourquoi certaines questions ne sont peut-être pas appropriées.

La mésaventure est arrivée à deux journalistes économiques du quotidien allemand Handelsblatt, qui souhaitaient publier une interview du directeur général de BNP-Paribas : Baudouin Prot. Ils ont rencontré le dirigeant français, lui ont posé les questions qu’ils souhaitaient et ont obtenu des réponses. Néanmoins, celui-ci a souhaité relire la retranscription de l’entretien avant parution, y a apporté des modifications, a fait part de certaines réticences et a finalement interdit purement et simplement la publication.

Riposte du quotidien allemand : la publication de l’intégralité des questions qui ont été posées au manager français, avec sous chaque question, un espace vide en guise de réponse.

Belle initiative qui rappelle que les journalistes sont souvent traités comme des moins que rien par les « grands de ce monde ».

Source : RTBF
  

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